Chapitre 11 : Séparation

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« Qu’est-ce que tu veux dire ? demanda Cathàn, piquée au vif.

– Ton rêve de reprendre le pouvoir, c’est irréaliste. Nous allons juste mourir pour rien. C’est stupide. Tu devrais venir vivre dans mon camp avec Salpi.

– Nous en avons déjà parlé ! Vivre dans une tente, au milieu des mercenaires ? C’est ça qui nous tuera !

– Mais tu ne serais pas exposé aux combats ! Tu resterais au camp pendant que nous serions à la guerre.

– Et qu’est-ce que j’y ferais ? Je ne veux pas rester toute ma journée à ne rien faire !

– Si je te rachète, tu feras bien ce que je te dis ! 

– Je suis ta maitresse, pas ta poupée.

– Ne joue pas sur les mots : tu te prostitues ! Est-ce que c’est mieux ?

– Dans cette pièce, nous sommes deux à vendre notre corps au plus offrant, pas la peine de faire le malin. »

Saro poussa un soupir et serra les dents.

« De toute façon, tu n’as pas le choix. Ostine ne laisse pas ses filles se racheter d’elle-même. Sans moi, tu ne peux rien faire ! »

La jeune Vulpès fronça ses sourcils.

« Tu n’es pas le seul homme à me courtiser ici. J’ai des amants plus puissants qui s’en chargeront ! Je refuse d’être ton esclave. »

Le mercenaire se leva d’un bond.

« Tu ne veux rien entendre ? Très bien. Je prends Salpi et je te laisse.

– Si tu penses que je vais te laisser faire !

– Parce qu’en plus, tu comptes garder ma fille ici ? Qu’est-ce que tu comptes en faire, au cabaret ? Une prostituée, comme toi ?

– Et toi, tu veux en faire une mercenaire, une crève-la-faim ? Tu ne comprends pas que tu es le jouet des rois, tu seras mort avant la fin de l’année si tu ne m’écoutes pas !

– C’est bon, j’en ai marre. »

Il s’avança vers Cathàn et tenta de lui retirer le bébé des bras, mais elle l’arrêta d’une main.

« Tu es peut-être très fort, mais ne sous-estime pas la force d’une thérianthrope de sang royal. » dit-elle en le regardant droit dans les yeux.

Le mercenaire se redressa et recula.

« C’est ma fille. Je la récupérerai quoi qu’il en coute.

– C’est aussi la mienne et je ne te la donnerai pas pour en faire une mercenaire. »

Sa queue de loup se balançait avec lenteur de gauche à droite, alors qu’il tentait de contenir sa colère. Il quitta la pièce, les poings serrés.

Les trois jours qui suivirent, Cathàn ne quitta pas sa chambre. Elle avait tenu, fière, face à Saro, mais être rejetée par son amant une semaine à peine après son accouchement était un sévère coup à son moral.

Dorsa finit par aller la voir. Elle s’était assise sur le bord de son lit. Cathàn, la face contre son oreiller, ne daigna pas se retourner. Sa fille, dans un berceau, dormait à côté.

« Écoute, tu es jeune, mais des déceptions comme ça, tu en auras encore beaucoup. C’est le lot de notre vie, ici. Tu dois t’y faire. Nous sommes des hôtesses, dans un cabaret, soumises au bon vouloir des puissants. »

Pas de réponse. Dorsa poussa un soupir et s’en alla.

« Essaye de t’en remettre vite. Ostine veut te voir, elle veut quelqu’un pour gérer une soirée. »

Les mots de l’elfe montagnole résonnaient dans sa tête. Elle n’était pas soumise aux puissants ! C’était une princesse, une cheffe de guerre. Elle avait perdu sa guerre, elle avait été vendue comme esclave, elle travaillait dans un cabaret, mais elle n’était pas soumise, et certainement pas à un mercenaire comme Saro.

Elle prit une grande inspiration. Si son destin l’avait laissée être une princesse, peut-être aurait-elle eu des peines tout aussi similaires. Elle était plus forte qu’une simple hôtesse de cabaret. Elle appela une servante et lui confia sa fille, puis elle retourna en salle.

Cette soirée était consacrée aux elfes de l’armée. Elles ne fêtaient rien de particulier : elles avaient juste assez d’argent pour se payer un spectacle et tâter les jeunes garçons qui travaillaient au cabaret. La ville de Lakon, consciente de la valeur d’un bataillon de mages dans ses rangs, n’était pas avare dans les salaires.

Pour l’occasion, beaucoup d’entre elles avaient revêtu des robes en soies, serrées à la taille et décolletées ; elles avaient l’air de dames de bonne famille dans une soirée huppée. Dans les faits, elles espéraient surtout se mettre en valeur et augmenter leurs chances de passer la nuit avec un nouvel amant, ou simplement garder celui qu’elles avaient déjà : le cabaret était moins fourni en hommes qu’il ne l’était en femmes.

Cathàn était au comptoir. Elle donnait des ordres tout en regardant les elfes du coin de l’œil.

« Comment ces femmes font-elles pendant cette si longue vie, pour supporter toutes les peines qu’elles auront à subir ? » pensa-t-elle.

« Je ne sais pas quel âge a Dorsa, mais elle doit avoir eu des dizaines d’amants, peut-être même des enfants… et pourtant, elle continue à être ici, à participer aux soirées, à séduire des hommes… » se murmura-t-elle à elle-même, les yeux perdus dans les lumières tamisées des alcôves de la salle.

« Tu perds la tête ? » demanda une voix connue. C’était Éortéïs, déjà bien éméchée. L’elfe, un verre à la main, tentait d’oublier sa solitude.

« Je réfléchissais sur notre destin tragique. » répondit Cathàn.

Éortéïs vida son verre avant de lui donner une tape sur l’épaule.

« Tu déprimes encore parce que l’autre mercenaire t’a quitté ?

– De princesse à courtisane, me voilà délaissée par mon amant… ma vie est ratée.

 – Écoute. T’es encore jeune, tu as plein de possibilités. Et c’est pas parce que t’as eu un gosse que ça t’empêchera de choper un homme ici. Si tu savais s’ils s’en foutent ! Les Varègues sont polygames, alors les enfants d’un autre mariage, ils s’en tamponnent. »

L’elfe approcha son visage de Cathàn. Elle sentait fort l’alcool.

« À ton âge, tu sais ce qui est le plus important pour le moment.

– Euh… non ?

– Rouler du cul ! Rou-ler-du-cul ! Et te taper un maximum de mecs ! Tu dois le faire pendant qu’il est encore temps et ne pas te préoccuper des autres problèmes ! »

Des larmes montèrent aux yeux de la militaire.

« Sinon… tu finiras comme moi… tu verras tes subordonnés te voler tes proies sous le nez et tu finiras au bar, en train de picoler pendant qu’elles se font démonter dans la chambre d’à côté ! »

Elle fit signe qu’on lui resserve de la bière, vida sa chope et se mit à chouiner. Cathàn poussa un soupir et lui caressa la tête.

« Elle est totalement saoule ! » dit-elle en rigolant.

Elle était saoule, mais elle n’avait pas tort. Cathàn avait la vie devant elle. Et puis, elle avait encore de solides options pour son avenir. N’avait-elle pas passé sa première nuit avec Gunnolvur, un des hommes les plus puissants de Lakon ? Elle allait tourner la page.

Ostine arrivait juste à ce moment-là. Elle semblait débordée. « Je ne sais pas ce que les elfes ont avec les garçons thérianthropes, mais je commence à manquer de bras ! »

Elle s’assit au comptoir, tout en poussant Éortéïs sans ménagement ; Éortéïs qui continua de pleurer et de marmonner des choses incompréhensibles une fois au sol.

« Ça va ? demanda la matrone à Cathàn. Tu as vite retrouvé ton sourire.

– Je vais de l’avant.

– Tant mieux ! Mais ne te surmène pas. Après ce qui s’est passé avec Saro… Je ne veux pas que tu déprimes trop, je te rappelle qu’en tant que princesse, tu attires du monde ici, et qu’au final, tout descend dans mes caisses ! » dit-elle avec un petit sourire narquois aux coins des lèvres.

« Tu serais d’accord pour retourner en salle, la semaine prochaine ? Il y aura du monde, et je pense qu’ils t’attendent. »

Les conseillers de la ville terminaient une grande session trimestrielle. Fatigués par les débats, ils venaient se détendre dans le Temple de Nacre. Du beau monde était présent, peut-être un tiers de tous les conseillers, et certains de leurs proches — l’invitation au cabaret étant un véritable privilège pour certains notables, on pouvait considérer cela comme un quasi-pot-de-vin. Ostine, qui comptait bien en profiter, avait briefé ses troupes pour que la soirée se passe sans accrocs.

« Les filles, il ne s’agit pas seulement de faire rentrer des sous et de fidéliser notre clientèle. Ici, nous ne sommes pas dans n’importe quel cabaret, et vous le savez. Nous recevons la crème, l’élite de notre cité, c’est-à-dire l’élite de l’archipel tout entier. Pour vous, c’est aussi l’occasion de se faire de nouvelles connaissances. N’oubliez pas que les seigneurs varègues sont polygames, et que rien n’est jamais perdu avec eux. » déclara la matrone avec un clin d’œil. Toutes les hôtesses acquiescèrent puis se dispersèrent pour aller remplir les tables.

Cathàn était décidée à oublier Saro. Elle attirait beaucoup de regards, car si le bruit s’était répandu qu’elle était enceinte, comme elle n’en gardait aucune séquelle, certains se demandaient si la rumeur était vraie ; déjà, à voix basse, des jeunes hommes se demandaient s’il n’était pas temps de tenter leur chance.

La salle était remplie, elle n’avait qu’à choisir avec qui elle passerait la nuit. Elle avait déjà une certaine renommée dans l’établissement. C’était une princesse, un critère qui ne passait pas inaperçu chez ces politiciens toujours en quête de légitimité et de prestige ; et c’était sans compter sur sa jeunesse, sa beauté, et ses précédents amants. Nul doute que beaucoup de ces messieurs auraient dépensé des sommes considérables pour ses faveurs.

 Pourtant, elle avait déjà quelqu’un en tête. Quelqu’un d’aussi jeune qu’elle, puissant pourtant, et qui avait déjà montré un certain intérêt pour elle sans jamais oser aller plus loin : Volker. Son père n’était pas là, et sans Saro aux alentours, peut-être qu’elle arriverait à le faire tomber.

Le jeune Humain était dans une alcôve séparée, avec des amis de son âge. Des filles se trouvaient déjà avec eux, mais il était à l’écart. Cathàn s’approcha. Elle portait une robe blanche une pièce, en cachemire importé du royaume Razenna, décolletée et cousue sur sa tranche de petits rubans de tissus. Les autres garçons avalèrent leur salive quand elle vint s’asseoir aux côtés de Volker. Elle posa son bras sur son épaule, et approcha son visage du sien.

« Bonjour, Volker. Ton père n’est pas là ? demanda-t-elle, l’air de rien.

– Il est encore au conseil. Il règle des choses en petit comité.

– Il continue de travailler alors que tous les autres sont venus s’amuser ici ?

– Quoi, il te manque ? Tu voulais passer la nuit avec lui ? demanda le jeune homme.

– Pas du tout. Et toi, Dorsa n’est pas là ?

– Non, elle reçoit quelqu’un d’autre.

– Je vois. Ce qui veut dire que nous sommes libres tous les deux. »

Elle se pencha pour attraper une bouteille de liqueur. Ce faisant, elle en profita pour agiter sa queue de renard et chatouiller le nez du jeune homme.

« Désolée ! » dit-elle avec un petit sourire sur les lèvres.

Volker retint un éternuement. Il écarta la queue vulpine, mais la garda en main, caressant la fourrure mauve du bout du pouce. Un frisson parcourut Cathàn dans le bas du dos.

« Il… a déjà dû avoir à faire à des thérianthropes, il sait où sont nos points faibles… » pensa-t-elle. Elle se mordit la lèvre pour ne pas pousser un gémissement.

« Qu’est-ce que vous mangez ? » demanda-t-elle en se cambrant un peu pour mettre sa poitrine en valeur et sous le nez de Volker.

 « Une tarte au vin blanc.

– Jamais entendu parler.

– Dame Ostine a eu la recette par un marchand de Syagria. Ce serait un pays du continent galate.

– C’est bon ? demanda Cathàn en penchant la tête.

– Goûte, tu verras. »

L’alcool faisant déjà un peu effet, il saisit la jeune fille par la hanche et approcha un morceau de tarte de sa bouche. Elle en profita pour lui lécher les doigts.

« On devrait peut-être aller dans ma chambre… »

Volker la prit par le bras et ils montèrent à l’étage.

« Tu ne voulais pas passer la soirée avec tes amis ?

– Plus que des amis, ce sont surtout les fils d’autres membres du conseil de la ville… Père voulait que je les invite ce soir, mais je ne comptais pas passer toute la soirée avec eux.

– Oui, tu auras mieux à faire. »

Juste avant d’entrer dans sa chambre, Cathàn entendit du bruit à l’autre bout du couloir. Elle n’en crut pas ses yeux. C’était Téméni, avec Saro !

La Femme-Lézard la regardait avec un air de satisfaction. Cathàn se refusa à lui donner de l’attention. Elle saisit Volker par le bras et entra dans sa chambre.

Sa fille avait été confiée à une servante. Elle avait donc tout le loisir de passer sa nuit tranquillement. Volker s’assit sur le rebord du lit, et sans attendre, elle fit tomber sa robe à ses pieds. Le jeune noble ouvrit des yeux grands comme des soucoupes.

« Ne me dis pas que tu es impressionnée, toi qui faisais crier Dorsa au point de l’entendre dans tout l’établissement ! »

Il passa ses mains sur ses hanches, caressa sa peau brune. Elle le sentait toujours un peu hésitant ; peut-être était-ce parce qu’il pensait encore à Saro, ou parce qu’elle avait été l’amante de Gunnolvur ?

Cathàn s’étala sur lui, et ouvrit sa chemise. Elle fit glisser ses doigts fins sur ses muscles. Il avait les pectoraux saillants ; elle savait que les conseillers de la ville, tous d’origine varègue, s’astreignait dans leur jeune âge à des entrainements quotidiens et maintenaient une discipline militaire.

« Je sais comment m’occuper d’une femme ! dit-il alors qu’il reprenait confiance en lui. Il l’enlaça et la serra contre lui.

« Mieux que ton père ? » demanda la Vulpès avec un grand sourire.

Le sang de Volker ne fit qu’un tour. En quelques secondes, il la saisit par les hanches et la retourna sur le lit.

Inutile de préciser que la nuit fut torride, Volker faisant montre d’une endurance à toute épreuve et ne termina qu’au petit matin. Cathàn en venait presque à regretter de l’avoir titillé, car elle ne sentait plus ses jambes ni son bassin ; elle était exténuée.

« Tel père, tel fils » murmura-t-elle.

Son jeune amant avait décidé de flâner au lit avec elle : il avait plongé la tête dans sa poitrine, la serrait contre lui tandis qu’elle lui caressait les cheveux.

« Quel bébé tu fais.

– Tu dois avoir l’habitude, non ? »

Volker s’étira, puis se rendit compte que l’heure tournait.

« Le conseil est terminé ! Mon père doit m’attendre à la maison. » dit-il dans un sursaut. Il attrapa sa chemise, enfila son pantalon en quatrième vitesse et sortit de la chambre en courant. Cathàn le regarda partir en souriant. C’était encore un gamin ! 

Un peu avant midi, une servante vint lui rendre sa fille. Salpi se portait bien. Malgré son emploi du temps chargé au cabaret, elle trouvait quand même le temps de s’en occuper.

Les thérianthropes naissaient avec leur fourrure. Celle de Salpi était devenue rose, comme si on avait mélangé la couleur de celles de ses parents. À un mois, elle commençait à diriger sa queue et ses oreilles dans la direction qu’elle voulait. Elle mâchouillait un jouet en cuir pour se faire les dents, qui poussaient plus vite que chez les enfants humains.

Les autres courtisanes l’avaient prévenu qu’avoir un bébé serait difficile, pourtant, avec toute l’aide qu’elle avait reçue, elle ne ressentait pas sa fille comme une nouvelle charge. Elle avait encore du mal à se faire à l’idée qu’elle était devenue mère.

Ostine entra dans sa chambre, une lettre à la main.

« Je ne te dérange pas ?

– Non, répondit Cathàn, qui déposa Salpi dans son berceau.

– Tu as reçu une invitation.

– Une invitation ? Où ça ?

– Ici, au restaurant. En tête à tête, dans un salon privé.

– Oh ! fit Cathàn, avec un sourire.

– Et tu sais qui c’est ? Gunnolvur ! »

Ostine posa la lettre sur une des tables de chevet.

« Tu sais, je crois qu’il va commencer à y avoir de l’électricité dans l’air entre le père et le fils, si tu continues à aller voir chez l’un et chez l’autre ! »

Cathàn s’allongea sur son lit.

« Je croyais que les Varègues ne faisaient pas un grand cas de la fidélité ?

– De la fidélité, oui, enfin… là, entre les deux, il y a déjà une certaine compétition, alors tu n’arranges rien. 

– Je ne vois pas le problème. S’ils rentrent en compétition pour moi, ce sera à mon bénéfice.

– D’accord, mais évite de me les vexer, j’aimerais ne pas perdre d’aussi gros clients.

– Bah, tu as bien la moitié du conseil de Lakon qui fréquente ton établissement !

– Non, seulement quelques-uns. Et Gunnolvur est le plus haut gradé d’entre eux, c’est plutôt prestige, donc fait attention !

– Elle est pour quand, cette invitation ?

– Dans une semaine. »

Le salon vert n’était utilisé que pour des réceptions très huppées, ou pour des gens importants. Le diner de ce soir-là rentrait dans les deux catégories. Gunnolvur avait fait servir de la viande de baleine. C’était un mets commun, presque populaire parmi les Varègues, mais la viande de baleine-lutin, une espèce de monstre abyssopélagique qui pesait cinquante tonnes et se nourrissait de requin était rare, surtout si celui qui la présentait l’avait chassé lui-même.

« Ne me dites pas que c’est pour frimer, dit Cathàn, vous avez passé l’âge ! »

Elle avait revêtu une longue robe en satin mauve aux motifs de fleurs imprimés à la feuille d’or qui mettait sa taille en valeur. Une barrette en argent ornait son oreille droite, une idée de Késia.

« Ces plats vous déplaisent ?

– Aucunement ! » répondit-elle en mordant dans un morceau délicatement marbré de gras scintillant, caractérisant cette viande de monstre.

« De toute façon, ce n’est pas un petit jeune qui pourrait vous traiter de la sorte. Vous desservez mieux que ça…

– Ça faisant référence à Saro, ou à votre fils ?

– Aux deux, à n’en pas douter. »

Elle esquissa un petit sourire espiègle.

Le repas suivit son cours, tranquillement, dans l’ambiance feutrée de cette salle privée, entre les allusions de Gunnolvur et la répartie de Cathàn. Le conseiller avait commandé du vin mérovien de qualité, un rouge avec dix ans d’affinage aux notes fruité et aux tanins intenses. Bien vite, la courtisane sentit le sang lui monter à la tête, et elle entraina le conseiller dans sa chambre.

« L’alcool vous donne des idées licencieuses ?

– Hihihi… à vous de me le dire… »

Elle passa la porte et s’arrêta net. Salpi était encore là !

« Où est la servante qui devait s’occuper de toi ? » s’exclama Cathàn en panique. Une note laissée sur la table de chevet indiquait qu’elle avait été réquisitionnée par Ostine. La jeune femme ne savait pas quoi faire. Elle ne pouvait rien tenter avec Gunnolvur tant que Salpi était là, c’était évident, mais elle ne pouvait pas le renvoyer comme un malpropre aussi brusquement !

« C’est votre fille ? » demanda-t-il sans s’en émouvoir. Comme Salpi tendait ses petites mains vers ce grand monsieur qu’elle n’avait jamais vu, il la prit dans ses bras et s’assit sur un fauteuil pour la bercer.

« Elle est bien calme, pour une petite Garache ! » dit-il en passant ses doigts dans les mèches mauves de Salpi.

Cathàn s’assit sur son lit sans rien dire, et regarda cet homme important, peut-être le plus important de la ville et l’un des plus puissants de l’archipel, assis sur une chaise en paille avec un bébé dans les bras. Ce qui l’étonnait le plus, ce n’était pas cette douceur qu’il dégageait, car elle savait déjà qu’il était loin d’être dur, mais la rapidité avec laquelle il s’était défait de sa prestance d’homme d’âge mûr, froid et indifférent.

« Vous avez l’habitude des enfants ? demanda Cathàn en balançant ses jambes sur le bord de son lit.

– J’ai éduqué mon fils. Ce n’était pas parfait, mais j’ai réussi.

– Et votre femme ? Elle ne vous a pas aidé ?

– Ma femme ? Elle est morte en donnant naissance à Volker. »

Les Varègues étant polygames et ayant une notion assez fine de la fidélité, Cathàn ne s’était jamais posé la question de sa présence au cabaret. Même les aristocrates elfes prenaient des maîtresses ! Mais en apprenant cela, alors cette quête infinie de femmes, de courtisanes, ce besoin d’affection tant du père que du fils prenait un tout autre sens.

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