Chapitre 2 : Le nouveau Haut Roi

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Après l’élection, Cathàn était rentrée immédiatement à Berden, dans le royaume de Manach. Depuis, elle ne décolérait pas.

« Ces enfoirés de druides ont trouvé le moyen de garder le pouvoir dans le royaume de Carlow, coûte que coûte ! C’est qui d’abord, ce Tyrone ? Personne ne le connaissait ! Tout ça parce qu’il dirige une grande ville ? Peut-on parler de noble ? C’est ridicule ! Ah, ces vieilles peaux nous ont bien roulés, on n’aurait jamais dû leur faire confiance !

– Surveillez votre langage, mademoiselle Cathàn, les druides sont sacrés ! » lui demanda Svincina. C’était une Pégase, grande et svelte, et qui servait comme mercenaire à la cour de Manach. Son crin était blanc cassé et elle portait une armure d’écaille.

« Tu vas me dire que j’exagère, Svincina ? C’est facile, pour vous, peu importe le roi, vous avez toujours vos cités ! Que ce soit mon père ou un autre, qu’est-ce que ça vous change ?

– Ne m’accuse pas d’être déloyale !

– Alors tu devrais réagir à cette injustice ! Et père, dites quelque chose ! »

Enfoncé dans son trône, Cartach passait ses doigts dans sa barbe. Il poussa un soupir.

« Svincina a raison, les druides sont sacrés. Qu’est-ce que tu comptes faire contre eux ?

– Si nous objectons leur décision, ils pourraient y réfléchir à nouveau…

– La plupart des nobles sont d’accord avec l’élection. S’il y avait un peu plus de mécontentement, nous pourrions agir… mais pour le moment, nous sommes bloqués ici. »

Hors d’elle, Cathàn se contenta de serrer des poings et de sortir de la pièce. Quelle humiliation elle avait subie ! Elle qui fanfaronnait il y a encore quelques jours qu’elle serait la prochaine princesse du pays, tout cela pour se faire voler la place par un petit chef de rien du tout !

En entrant dans sa chambre, elle envoya valser tout ce qui se trouvait sur son bureau. Après avoir passé ses nerfs, seule une carte de l’île avait survécu à sa rage.

« Calme-toi. » lui dit Callàn, resté sur le pas de la porte.

Il lui apporta une chaise, elle s’y affala en poussant un soupir et en s’essuyant le front.

« Oui. Il faut que je garde la tête froide. Rien n’est perdu.

– Rien n’est perdu ? L’élection est passée, je ne vois pas ce qu’on peut faire maintenant.

– C’est bien simple, puisque les druides ne veulent pas nous donner le pouvoir, nous le prendrons par la force. »

Callàn, sans s’affoler, croisa les bras.

« Tu comptes défier les druides ?

– Avec de l’aide. Tous les nobles de Laigh ne sont pas d’accord avec cette décision. Il faut juste les fédérer, les rassembler autour de notre père. 

– C’est comploter contre le Haut-Roi ! »

Cathàn prit les mains de son frère.

« C’est pour ça que je vais avoir besoin de ton aide.

– Tu as un plan ? Un vrai ? »

Elle pointa la carte.

« Les cités marchandes de la côte changeront de camps si on leur promet des droits étendus.

– C’est possible, mais ce ne sera pas suffisant, tu ne crois pas ?

– Tu iras les convaincre. Moi, je reste ici pour rassembler des notables mécontents. Ça ne devrait pas être dur.

– Tu penses vraiment qu’une majorité va se rallier à notre cause ?

– La majorité ne se ralliera peut-être pas à notre cause, mais ne se ralliera pas à Tyrone non plus. Il n’aura que l’armée de Winvermon, et encore… »

Elle se releva subitement.

« Callàn, part pour Pydna. Les elfes méridines nous rejoindront à coup sûr, et avec leurs phalangistes, nous écraserons Tyrone. »

Le prince de Manach resta les bras croisés pendant un petit moment. Sa sœur était-elle courageuse ou totalement folle ? Devait-il la suivre ou la laisser délirer ? Si elle réussissait, elle ferait de lui un prétendant au trône de Haut-Roi. Si elle échouait, ils seraient tous les deux décapités sur la place centrale de Gwynol.

« Il doit bien y avoir un moyen d’avoir tous les avantages sans prendre tous les risques… » murmura-t-il.

« Alors ? insista Cathàn.

– Je pars demain. » dit-il résolu.

Cathàn serra son frère dans ses bras et lui souhaita bonne chance. Le lendemain, en toute discrétion, il partait pour la cité elfe.

Dans les jours qui suivirent, la princesse de Manach rassembla ses soutiens.

Le royaume de Laigh étant décentralisé, beaucoup de notables ne voyaient pas l’intérêt de changer de Haut Roi. Pourtant, elle parvenait à gagner leur attention en agitant la peur d’un contrôle accru de l’administration sur leurs domaines : c’était faux, mais après tout, Tyrone et sa cité de Winvermon aurait très bien pu s’y mettre !

Ainsi Cathàn recevait, qui un seigneur local, qui un bourgmestre, qui un grand propriétaire, soucieux de garder leur autonomie.

« Je… je ne suis pas sûre… » lui dit un jour Roïs, une jeune noble de son âge. « C’est quand même déposer le Haut Roi.

– Mais il n’est Haut Roi que depuis quelques semaines, n’est-ce pas ? Avant son élection, tu ne le connaissais même pas.

– C’est vrai, mais…

– Si tu rejoins ma cause, je te promets que je t’appuierai en retour pour que tu deviennes l’héritière de Louth à la place de ta sœur. Et il ne t’en coûtera que quelques mercenaires à déployer pour faire acte de présence.

– N’est-ce pas risqué ? »

Cathàn s’approcha de Roïs tout en arborant une expression rassurante.

« Ne t’inquiète pas. Je serai fille du Haut Roi et toi princesse de Louth avant la fin de l’année. Il n’y a aucun risque. »

La jeune fille, sous la pression, finit par céder.

Cathàn jubilait. Avec Roïs, elle avait réussi à réunir des nobles de tous les principaux royaumes de Laigh. Encore quelques-uns et sa victoire serait assurée.

Une bourse cachée dans son sayon, elle voulait continuer sur cette lancée. Elle avait pris contact avec des Pégases de Dulacorum, qu’elle comptait recruter comme mercenaires. Il ne manquait qu’à leur verser un premier acompte et son armée s’en trouverait renforcée.

Dans la cour, Svincina l’attendait.

« Encore à comploter ?

– Où sont les mercenaires ? demanda Cathàn.

– Je les ai renvoyés. Tu ne pensais pas pouvoir recruter des mercenaires de ma cité sans que je le remarque ?

– Pourquoi tu me mets des bâtons dans les roues ? Si nous parvenons au pouvoir, tu y gagneras aussi !

– Je n’y gagnerai rien, car tu vas échouer, et nous emmener dans ta chute.

– Ridicule ! Tu n’y connais rien en politique, et c’est pour ça que les Pégases sont confinés dans leurs colonies. Mon père sera Haut-Roi, que ça te plaise ou non. »

Cathàn retourna au manoir. Elle serrait des dents : Svincina ne pouvait pas s’opposer à elle. Elle touchait à son but : dans quelques jours, elle aurait assez de soutiens pour convaincre son père de marcher contre Tyrone.

Le soir même, elle reçut une missive de son frère. Il était parvenu à convaincre la cité de Pydna de se joindre à elle. Le lendemain, elle annonçait officiellement son plan à son père.

Cartach n’avait plus aucune latitude pour refuser : il avait laissé faire sa fille sans rien dire, et s’il se débinait maintenant, c’était la guerre civile assurée.

« J’ai toutes les cartes en main. Dans quelques jours, nous partirons pour Aberwick, puis nous attirerons Tyrone dans un piège à Pydna. Il sera écrasé, et notre juste place à Laigh sera restaurée. »

Dans son manoir de Winvermon, Tyrone recevait les nouvelles de l’agitation en cours depuis plusieurs semaines.

Les pieds de son trône en bois étaient sculptés en forme de dryades ; il était surélevé, et comme le Roi était déjà grand, il surplombait toute la salle d’audience. En bas des marches, Svincina avait posé les genoux à terre.

« Il est à croire que Cathàn passe à l’action dans les prochains jours. » dit-elle.

La Femme-Cheval n’osait pas bouger. Ses ailes de plumes duveteuses étaient repliées dans son dos ; ses oreilles équines étaient basses ; sa queue de crin traînait au sol.

Tyrone la transperçait de son regard sévère et dominateur. Pourtant, il restait calme.

« Je me suis arrangée pour que la ville de Dulacorum soit neutre.

– Merci pour ton rapport. Tu peux disposer. »

Un conseiller intervint.

« Nous… nous ne faisons rien de plus ? Cathàn va rassembler une armée largement supérieure à la nôtre, nous devons nous dépêcher d’engager des mercenaires ! »

Le roi leva un sourcil ; ses oreilles de renard se dressèrent sur sa tête.

« Vous doutez de moi ?

– C’est-à-dire que… il y a un risque. »

Tyrone se mit à rire.

« Cathàn est une idiote. Elle ne sait pas ce qu’elle fait. »

Il s’enfonça un peu plus dans son siège.

« Elle sera écrasée. Ne vous en faites pas. »

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