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Prologue Chapitre 1 - Le Roi Raegan Chapitre 2 - La naissance

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Chapitre 1 - Le Roi Raegan

1913 1 0

2000ans plus tard…

 

Les mains jointes. Les genoux posés sur le sol. Les yeux fermés et la tête baissée en signe d’humilité. Raegan priait en silence face à la fenêtre.

La lueur argentée de la Lune tapissait les environs de son aura mystique et caressait le visage du demi-dragon, qui était concentré dans son oraison. Il étendit ses bras et ouvrit les paupières pour observer l’astre surplombant la cité de Harenhor, les yeux remplis d’espoir et un sourire plissant timidement ses joues blanches.

Il prit une grande inspiration puis expira un bon coup avant de murmurer :

— Puissent les Cieux me sourire....

Il se redressa et entendit quelqu’un toquer à sa porte. Il somma aussitôt la personne d’entrer. Un jeune soldat humain, couvert d’armure de la tête aux pieds, pénétra l’enceinte de la chambre et se mit au garde-à-vous, le dos droit et la tête haute, avant d’annoncer d’un ton solennel :

— Votre Majesté. Sire Vanarion désire vous voir. 

Raegan soupira d’un air las et maugréa :

— Ce n'est pas le moment. Je dois prier. Partez.

—  Bien, votre Majesté, dit le soldat en tirant une révérence maladroite. Pardonnez-moi. 

Il s’éclipsa aussitôt de la pièce, laissant Raegan à nouveau seul. Il soupira encore, dépité, fatigué.

 

Ce jour-là était un jour exceptionnel. Un jour où la continuité de sa lignée allait enfin être signée. Un jour où son enfant allait naître – un fils, espérait-il. Il ne cessait de supplier les Dieux pour que tout se passe convenable, que sa femme ne souffre pas de son accouchement et qu’un garçon émerge de son ventre.

Le poids de l’avenir de sa famille ainsi que de son Royaume pesait sur ses épaules. Pour le bien de Thoradhor, il devait avoir un héritier en parfaite santé, qui serait capable de prendre sa succession si jamais il devait venir à succomber, comme le furent ses ancêtres.

Tous sauf Vanarion, qui était atteint d’une terrible et étrange maladie. Malgré cela, il résistait et parvenait à traverser les âges. Mais pour combien de temps encore ?

 

Raegan prit une grande inspiration puis relâcha les épaules en expirant un bon coup. Il croisa sa silhouette dans un miroir à quelques pas de lui et contempla ses vêtements royaux qui resplendissaient ses couleurs : blancs et argentés, comme étaient ses écailles ainsi que ses cheveux.

Il portait notamment une longue robe opaline, marquée à la taille par une onéreuse ceinture en or blanc, sertie de quelques cristaux précieux. Sur ses épaules, une cape grise longeait son dos et essuyait le sol derrière le lui. Il portait également des épaulières, elles aussi en or blanc, qui accentuait son allure impérieuse de Roi. Enfin, sur sa tête trônait une couronne qui entourait parfaitement ses cornes. 

Il appréciait l’image qu’il reflétait, en plus de la beauté qu’il avait hérité de ses ancêtres. Ses yeux, tirés en amande, avaient des iris argentées, luisantes comme la lueur enchanteresse de la Lune. Sa mâchoire écailleuse était fortement marquée, carrée, et ses longs cheveux blancs descendaient en cascade sur ses épaules trapues. Il était beau, et il le savait : au-delà de son statut de Roi, il avait la réputation d’être un bel homme, sujet à de nombreux fantasmes chez les femmes.

 

Un bref sourire écarta ses lèvres pâles et il se décida à enfin quitter sa chambre pour gagner le couloir menant à celle de Vanarion. Lorsqu’il toqua à la porte, une maigre voix malade répondit. Raegan entra et découvrit son ancêtre enfoui dans son lit, plongé dans la pénombre avec comme seule lumière celle de la Lune qui s’insinuait timidement dans les lieux.

—  Raegan..., accueillit Vanarion en levant faiblement son bras. Je suis heureux que tu sois là. 

Sa voix était enraillée, presque éteinte. Le Roi se pinça les lèvres et s’approcha de Vanarion en venant s’asseoir sur la bordure du lit. Il tendit ensuite sa main vers son ancêtre pour venir caresser son visage creusé par la maladie.

—  Vous savez que ce n'est pas un bon jour pour me faire appel, Vanarion..., sermonna Raegan.

—  Tu auras un garçons..., assura Vanarion en offrant un doux sourire à sa descendance. Tu n'as pas à avoir peur. Ta femme va t'offrir une fils. J'en suis certain. 

Raegan dodelina de la tête, bien moins sûr que Vanarion. Mais il se retint de faire tout commentaire et lui rendit le sourire avant de murmurer :

—  Vous avez raison.

Il serra la main de son ancêtre dans la sienne. Ce dernier poussa un petit rire faible avant de tousser et répliqua d’un ton calme :

—  Tu n'es pas sûre de toi, cela se voit. 

—  Et si c'était une fille ? demanda-t-il d'un air inquiet. 

— Alors tu feras un nouvel enfant à ta femme, et ton futur fils épousera ta fille. Comme tous les Arthenis ont fait avant toi. 

— On ne prend donc jamais en compte les sentiments de nos enfants..., assusa Raegan.

— C'est ainsi. Tu dois appliquer ce que l'on t'a appris, Raegan. Pour assurer l'avenir de notre lignée. Voudrais-tu être la honte de notre famille ? Voudrais-tu offenser tes ancêtres ?

Raegan baissa la tête et ne répliqua rien aux propos de Vanarion. Attiser la colère des ancêtres était quelque chose qu’il redoutait le plus : il reconnaissait avoir peut-être trop d’empathie tandis que sa famille lui recommandait incessamment d’être le plus impassible possible. Un Roi, comme ils le disaient, se devait de remplir son rôle de souverain avec droiture et vaillance.

Mais il pensait régulièrement au bien-être de ses futurs enfants. Et au malheur qu’il allait leur infliger. Lui-même dut épouser sa propre sœur pour assurer la pureté de sa lignée, et ce à contre-cœur. Car il était tombé amoureux d’une femme, une humain, Lohranë, avec qui il entretenait une relation secrète pour ne pas s’attirer les foudres du Royaume ainsi que de sa famille.

Il aurait préféré pouvoir se marier avec cette femme. Fonder une famille avec elle. Mais il devait répondre à son devoir de Roi et assurer l’avenir des Arthenis.

—  Tu es un mâle..., chuchota Vanarion. Un Roi. Tu dois dominer sur tous. 

Raegan fronça les sourcils et pencha la tête sur le côté, l’air perplexe. Vanarion agrandit son sourire pervers et poursuivit :

— Tu es leur Roi.

—  Pour combien de temps ? objecta Raegan.

— Comment ça ?

Un souffle nerveux s’échappa de la bouche du Roi qui crispa sa main libre sur la couverture du lit avant de frapper du poing dessus. Vanarion papillonna des yeux, intrigué face à la réaction inattendue de son descendant, et lui demanda plus calmement :

—  Que se passe-t-il ?

— Les Renkhas, répondit Raegan d'une voix nouée par la colère.

—  Ce ne sont que des légendes, ils n'existent p-....

—  Ils existent, interrompit le Roi. Et ils menacent de tous nous dominer.

—  C'est une bonne chose alors, non ? Ils incarnent la Lumière, après tout.

—  La mauvaise Lumière. 

 

 

Raegan se leva promptement du lit pour se diriger vers la fenêtre et ouvrit les volets d’un geste sec en les faisant claquer contre le mur. Il découvrit alors davantage les douceurs argentées de la Lune, et les contempla quelques secondes pour trouver en cet astre un peu de paix. Il inspira et expira un bon coup puis se retourna vers son ancêtre qui l’observait d’un air soucieux.

Le Roi s’adossa contre le mur qui avoisinait la fenêtre, croisa les bras et figea son regard dans celui de Vanarion, les pensées chargées de questions et de frayeurs.

—  Pourquoi penses-tu que c'est une mauvaise Lumière ? s'enquit Vanarion d'un ton serein.

—  Car ils agissent comme des tyrans, Vanarion. Ils ne veulent pas notre bien, ils veulent tous nous purger. Nous purifier de la corruption nous gangrène tous. 

—  Quelle corruption, mon enfant ?

Raegan observa ses propres mains puis palpa la paume d’une d’elles avant de répondre :

—  La Chair....

—  Nous sommes purs, affirma Vanarion sans une once d'hésitation. Nous sommes affranchis de toute cette corruption qui enchaîne le mortel à un état primitif. Nous n'avons rien à craindre des Renkhas, bien au contraire. Ils nous seront bénéfiques. 

Raegan ne répliqua rien quant aux propos de son ancêtre, perdu dans ses pensées, les yeux figés sur les sillons de ses paumes. Il ne pensait pas comme sa famille, qui estimait que la lignée des Arthenis n’était pas affectée par la corruption de la chair, qui implantait chaos et vice au sein du mortel : pour lui, même les Arthenis en étaient atteints. Il ne pouvait rejeter le fait qu’il était souvent mordu par maints désirs reprochables qui étaient caractéristiques de la corruption : la gourmandise, l’orgueil, l’avarice. Rajouté à cela qu’il admettait avoir du mal à résister à la tentation lorsque le corps de sa bien-aimée secrète, Lohranë, s’exposait à lui.

—  Je pensais que la guerre contre les rats de la Mort t'inquiéterait davantage, supposa Vanarion.

—  Ils ne sont rien face à nous, affirma Raegan. Nous sommes bien plus puissants qu'eux.

—  Je ne les sous-estimerais pas, à ta place. Ils ont déjà capturé tout un pays.

—  Khabora ? Ce n'est qu'un immense désert-...

—  Rempli d'ors et de pierres à la valeur inestimable, coupa Vanarion. Un pays riche désormais tombé dans les mains des sbires de la Mort. Et bientôt ils s'attaqueront à nous. 

—  Qu'est-ce qu'il vous fait dire cela ?

—  De ce que j'ai entendu, l'un d'entre eux,  un homme descendant d'une lignée ancestrale de mages, les Noctrum, a réussi à assassiner le Roi qui régnait sur les terres de Khabora. Sarhal Almanh. Celui qui t'avait supplié de l'aider, et dont tu as ignoré l'appel. Si cet avorton des Noctrum a réussi à l'atteindre, pourquoi ne parviendrait-il pas à t'atteindre également ?

Raegan frappa faiblement le lit avec son poing et expira un long souffle de désespoir. Il resta silencieux, les yeux fermés, la respiration haletante.   

Lorsqu’il ouvrit les paupières, il croisa le regard intrigué de Vanarion qui, malgré sa grande faiblesse, était parvenu à se redresser sur le lit, adossé contre la tête de la couche.

—  Il ne m'atteindra pas, affirma Raegan d'une voix fébrile. Et si tel est le cas, je me ferai  un plaisir de séparer sa tête de son corps.

—  Cela ne concerne pas que toi, Raegan, reprocha Vanarion. Ce... Noctrum semble plus intelligent qu'on ne le pense. Pour un humain, c'est plutôt exceptionnel. Il s'attaque en général aux proches, en premier, mais de façon stratégique. Il semble vouloir nous atteindre mentalement avant de pouvoir nous prendre d'assaut physiquement. 

—  Co-... comment savez-vous tout ceci, Vanarion ? Vous ne sortez jamais de votre lit. 

— J'ai plus de deux milles ans, mon garçon. J'ai beaucoup appris de mon passé. Et j'observe, beaucoup. Chose que tu ne fais pas beaucoup. 

Raegan se leva du lit, agacé par la conversation. Il glissa lentement ses doigts dans sa longue chevelure blanche tout en rivant son attention sur la fenêtre. A travers celle-ci, il perçut la cité de Harenhor, les quelques lumières nocturnes qui l’illuminaient, les nuages qui surplombaient la ville et l’obscurité omniprésente tout autour de cette dernière.

 

L’obscurité. L’inconnu. Voilà ce qui angoissait surtout Raegan. Il ne savait pas vers où, ni quoi il se dirigeait : car un nouvel Empire du nom d’Orvenum, régi par des créatures impies de la Mort, menaçait d’étendre sa noirceur sur les terres pures de Thoradhor. Rajouté à cela, les prénommés « Renkhas », qui étaient des créatures célestes et extrêmes, adulant la Lumière la plus pure et la plus austère, parvenaient à corrompre plusieurs régions humaines du continent d’Argana en les obligeant à les rejoindre.

Raegan refusait de céder son Royaume à qui que ce soit : il refusait d’admettre qu’Orvenum pouvait le vaincre, et il repoussait toutes tentatives des Renkhas de forger une alliance commune. Thoradhor devait rester un Royaume indépendant et fort, selon lui, qui rayonnerait de sa puissance représentant celle des dragons ancestraux.

—  C'est pour cela-..., poursuivit Vanarion en brisant le silence. C'est pour cela que nous devons nous rallier aux Renkhas. 

Raegan grinça des dents et ferma les poings. Il poussa un bref rire amer et riposta d’un ton provocateur :

—  Je pensais que pour vous ce n'était que des contes, les Renkhas. 

Vanarion sourit d’un air étrange et pencha la tête sur le côté avant de répondre calmement :

—  J'ai menti. Je sais que tu éprouves une certaine animosité à l'égard des Renkhas. Mais ils sont notre dernier espoir face à Orvenum. Réfléchis à cela, Raegan. Je t'en supplie. Je n'ai pas envie que notre Royaume devienne des terres maudites, et que tout notre peuple devienne des morts-vivants à jamais enfermés dans un tourment éternel. 

Le Roi l’observa d’un air austère, les sourcils froncés et la mâchoire serrée. Mais Vanarion resta serein face à la colère apparente de son descendant.

—  Je pensais que j'étais un mâle, cracha Raegan.  Un Roi qui devait dominer sur tous. Pas de soumettre à des fanatiques de la Lumière.

—  Qui t'obéira une fois que tu seras mort, Raegan ? Les Renkhas ne vont pas te retirer de ton trône, mais t'offriront la puissance nécessaire pour défendre ton peuple contre les rats d'Orvenum. 

Un bref soupir s’échappa des lèvres de Vanarion avant qu’il poursuive d’un ton dépité :

—  Jadis, les Arthnis étaient très puissants. Mais il semblerait que notre pouvoir s'affaiblit de génération en génération. A croire que les dragons acestraux nous ont abandonnés....

Vanarion baissa la tête et ferma les yeux. Raegan le regarda longuement en silence puis souffla un bon coup pour expulser une part des tensions qui le dévoraient. Après quoi, il tourna son attention vers le tableau de peinture qui faisait face au lit de son ancêtre et qui représentait Yranarr, le tout premier Arthenis.

Ce dernier avait mystérieusement disparu. Personne n’était parvenu à le retrouver, ni même son corps. Était-il mort ? Nul individu ne savait la réponse. Et sa disparition soudaine intriguait Raegan, car de ce qu’il avait entendu de lui, c’était un Roi fier de son Royaume, de son pouvoir et de ce qu’il était. De plus, aucune menace pesait sur Thoradhor à ce moment-là : il n’avait donc aucune raison de fuir le trône.

Raegan s’approcha et remarqua les détails du visage d’Yranarr : il avait des sortes de petites pointes au niveau de la mâchoire qui accompagnaient ses écailles. Son regard était sévère et ses yeux flamboyaient une lueur presque mystique. Ses longs cheveux argentés étaient attachés en tresses élégantes, agrémentés de bijoux en or qui lui donnaient un air raffiné.

 

Quelqu’un toqua tout à coup à la porte. Raegan s’extirpa de sa contemplation pour river son regard sur la porte de la chambre et autorisa la personne à pénétrer l’enceinte de la pièce.

Un médecin, vêtu d’une longue robe blanche marquée à la taille par une ceinture de maigre facture, entra dans la chambre, l’air fébrile. Raegan fronça les sourcils et s’inquiéta :

—  Que se passe-t-il... ?

—  Votre enfant, Sire..., répondit le médecin. 

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