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Martin St-Laurent

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La corneille

Terre 4
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La corneille

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Une grande et majestueuse corneille se laisse planer. L'air est encore humide alors que la pluie vient de finir de tomber. La quiétude qui s'en suit est signée d'un magnifique arc-en-ciel grâce aux rayons de soleil sortant d'un petit trou dans les nuages. Sous cet arc-en-ciel, au sol, installée dans le creux d'une vallée et dominant le paysage, une grande église est entourée d'un village qui disparait dans la forêt. Le ciel à l'horizon, toujours d'un gris presque noir, donne l'impression qu'à cet instant précis, seul le petit village existe.  Il semble que les conditions météorologiques veuillent indiquer à l'oiseau la direction à suivre. Mais l'imposante rapace a vu autre chose. D'autres oiseaux noirs volent en cercle au dessus de l'église. Elle sait quel présage cela signifie. 

Devant l'église dans la charmante municipalité de Lac-Montagne, trente-et-une personnes ont été réunies. On peut facilement s'imaginer que dans ces circonstances paisibles, elles auraient laissé leurs inquiétudes derrière, qu'elles auraient momentanément mis leurs chagrins de côté et poussé leurs rivalités de l'autre côtés. Or, il n'en est rien. C'est sur la pelouse qu'elles sont regroupées. Mais ceci, comme on peut le deviner en observant l'état florissant de la pelouse, est inaccoutumé. En effet, d'un vert uni, la pelouse entourant l'église est exemplaire. Il n'y a qu'un défaut. Ou plutôt deux. Deux traces laissées par un véhicule créant une sorte de fissure dans le décor bucolique. À en juger par leur apparence, ces traces ont été faites aujourd'hui par un véhicule roulant à très grande vitesse. En approfondissant notre raisonnement, nous pourrions conclure que les roues ne devaient pas rouler, mais plutôt glisser, vu la manière dont le gazon fut arraché sous leur passage. 

Peu de passants auraient résisté à la curiosité d'observer ces traces, tant elles contrastent avec le paysage. Or les passants, en suivant de leurs yeux le parcourt des traces, percevraient qu'elles aboutissent à l'intérieur du cercle formé des trente-une personnes. De ces passants curieux, certains auraient sans doute même poussé leur investigation en s'approchant du cercle. Ces quelques curieux auraient alors noté les cris et l'excitation provenant du cercle. Toutefois, en s'approchant davantage, ils auraient réalisé la tournure dramatique que prennent ces cris et à quel point ceux-ci détonent de la tranquilité du village. Il est fort probable qu'aucun passant n'aille jusqu'à pénétrer dans le cercle. Il y flotte un tel climat d'agressivité, c'est à se demander quel outrage pourrait générer autant de colère.

Si présentement, aucun passant n'ose trop s'y approcher, il y en a quelques uns ou plutôt quelques unes qui circulent dans les alentours en attendant le bon moment pour passer à l'action. Pour ces créatures inhumaines, les cris qu'elles entendent sont un bon présage. Voilà pourquoi ces créatures noires volantes se sont rassemblées, elles, sur le toit de l'église pour observer. Cependant, malgré la bonne vue qu'elles ont de la scène, elles n'ont aucune idée de la signification des cris et des paroles qu'elles entendent. Elles n'en auront malheureusement jamais la moindre idée puisqu'elles ne sont que de simples corneilles. Ce n'est pourtant certainement pas cela qui va les décourager de faire leur possible pour maitriser la situation et prendre le contrôle de ce qu'elles voient au centre de toute cette activité. 

Perchées là haut, elles se regardent et criaillent. L'une d'elles sens une opportunité. Elle s'élance et pique vers le regroupement en planant au dessus des gens. Elle passe si près qu'elle pénètre dans l'aura de tourment qui émane de ce qu'elle et ses consoeurs convoitent. Aussitôt après s'être éloignée, la corneille exécute une grâcieuse manoeuvre de revirement et revient à toute allure au dessus du groupe. À chaque passage, l'oiseau traverse ce qui semble être un festival de pleurs et d'insultes. Il n'y a rien à faire, ces humains sont bien trop effrayants. La corneille revient se percher sur le toit de l'église et criaille de déception.

L'une de ses comparses, plus âgée, n'est pas impressionnée. Elle sait que la patience fini bien souvent par porter fruit. Bien qu'elle se fait vieille et qu'elle soit tentée de simplement attendre son tour, elle sait aussi que beaucoup de corneilles sont rassemblées et qui sait ce qui restera quand tous ces humains se seront servi. Alors elle s'élance, montrant ainsi à tous qu'elle n'a pas l'intention d'attendre son tour. Plus bas, elle voit trente-et-un humains. L'un est mort c'est évident. Il s'est fait frappé par l'une de ces voitures un peu plus tôt. C'était à ce moment que tout a commencé. Il serait facile de supposer que ce soit pour cette raison que les trente autres se chamaillent autour du cadavre. Mais la vieille corneille sait que les humains ne mangent pas les cadavres quand ils ont été frappés par une auto. Ils les laissent sur le bord de la route. Le vieil oiseau effectue un cercle et repasse au dessus de la scène. Une chose l'intrigue. Des trente humains qui sont en vie, l'un est en conflit avec les vingt-neuf autres. Les autres oiseaux ne l'ont peut-être pas aperçu, mais la vieille corneille, elle, sait discerner les petits détails importants. Elle revient se percher plus haut, elle en a assez vu et elle est satisfaite. Elle sait deux choses. Qu'il y en aura assez pour toutes et que le conflit en bas s'est envenimé depuis le début. Les corneilles alors auront bientôt un autre cadavre d'humain à se partager.

Ultérieurement, une sirène se fait entendre. Une voiture de police fait son apparition dans le petit centre ville. Subséquemment, une ambulance fait son apparition et éventuellement d'autres voitures de police puis d'autres services. Bientôt, le terrain grouille d'humains. Le conflit s'estompe. Le cadavre est mis dans un sac et envoyé au loin dans une camionette. Beaucoup d'humains reste sur place comme s'ils attendent une autre mort. Puis il s'en vont peu à peu jusqu'au dernier. Il ne reste alors plus que des retailles de sandwiche à manger. Il semble que les humains mangent les cadavres humains après tout et la vieille corneille n'a pas pu avoir sa part.

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